Chroniques d’Alan

Un pas. Puis deux. Puis dix. De la brume, des formes perçues de loin, puis très proches. Et me berçant presque de leur tracé vague -ou que je n’ose pas voir. Je sens mon corps progresser et défier ces silhouettes que le vent balayera. Ce ne sont que des ombres chinoises s’animant sur le pan de ma solitude. Incapable d’établir les connexions neurologiques nécessaires à la formation d’une pensée. Je franchis la porte du bâtiment, le cerveau embué. Ouf, enfin à l’abris. J’enlève la capuche de mon anorak, et aussitôt l’étrange impression d’être apparenté à une coque de noix disparaît. Un coup d’œil désintéressé à mon smartphone me permet de réaliser à quel point je suis indispensable au monde qui m’entoure. Mais cela me permet également de reprendre mes esprits, que je venais d’égarer sur le chemin de la résidence. La machine se remet lentement en route et je retrouve finalement la faculté de percevoir. L’atmosphère est poussiéreuse mais familière. Si bien que je peux constater cette décontraction subite de tous les muscles que j’avais auparavant sollicité dans ma sortie à l’air libre. C’est comme si un socle résistant m’était nécessaire pour supporter le poids de mes nombreux sentiments. Mais surtout de mon imagination. Maman dit qu’elle aurait dû « prévoir les conséquences » et « moins me stimuler étant jeune ». Je ne pense pas qu’elle soit coupable. Je pense aussi qu’elle exagère. Je pense beaucoup, mais jamais assez. Non, arrête de te dévaloriser. Alan. Cela fausse l’image que tu as de toi, cela brouille et embrouille ton système de pensée, cela piétine les miettes d’estime de soi que tu avais sagement tenter d’amasser. Pas maintenant.

 Mon esprit embrasse du regard les moulures et le grand miroir dans lequel j’aperçois mon reflet. Je ne vois en moi qu’une énigme. Inconsciemment ma tête s’incline, pour finir par s’orienter vers le spectacle exquis que sont mes vieilles tennis trempées. Le seul jour où j’ai à sortir, il faut qu’il pleuve à verse. Mais remarquez, il pleuvait aussi hier. Pas de la même façon certes, mais cela reste de la pluie. Ça relève du même procédé. De l’eau. Des gouttes. Des sillons de larmes sur les vitres embuées. Des millions de parapluie en forme de bouchons de bouteilles multicolores s’agitant sur les pâles avenues. C’est aérien, et moi j’aime quand tombe la pluie, je me sens protégé des regards. Les gens au dehors ne se soucient plus que de ne pas tremper leurs mises en plis. Ils foncent, les yeux braqués sur l’objectif, le champ de vision réduit à la surveillance de cette autoroute de parapluies actuellement surpeuplé. Ils ne voudraient pas heurter un compère. Alors moi, je me poste au milieu et je les regarde m’éviter, me contourner sans m’avoir regardé. Baudelaire savait en parler mieux que moi. « Quand la pluie étalant ses immenses trainées, d’une vaste prison imite les barreaux, et qu’un peuple muet d’infâme araignées, vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux ». C’est amusant, il retranscrit mon état comme un vieil ami.

Arrête de rêver.

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